Le 10 septembre 1839, un jeune homme de 18 ans frappait en fin de matinée à la porte du Château de la Mine, à Poullaouën, édifié au milieu du XVIIIe siècle pour loger les cadres supérieurs de la Compagnie des Mines de Basse Bretagne qui exploitait depuis 1732 les riches filons de plomb argentifère de Poullaouën, Locmaria-Huelgoat et accessoirement Carnoët-Plusquellec.

Fortuné du Boisgobey, fraîchement émoulu du Collège St-Louis de Paris où il venait d’obtenir un Baccalauréat ès Lettres, parcourait la Bretagne depuis le 30 juillet, curieux de découvrir ses paysages, ses monuments, ses coutumes et ses activités économiques.

Pour se rendre de Morlaix à Poullaouën, il avait emprunté la diligence qui inaugurait la liaison régulière établie entre Morlaix et Lorient en suivant une ancienne voie romaine passant par Carhaix.

Bien loin de déplorer l’inconfort et les aléas d’un tel voyage à travers «les hauteurs escarpées des Monts d’Arrée» qu’il avait beaucoup admirées au passage, il avait au contraire fort goûté les péripéties de cette expédition, au cours de laquelle les passagers avaient dû maintes fois descendre pour alléger la voiture et même «piquer à travers champs pour passer une petite rivière», faute de pont pour la traverser.

Un accueil chaleureux

Il fut aussi agréablement surpris par l’accueil simple mais chaleureux que le Directeur des Mines et maire de Poullaouën Auguste Juncker réservait à tous ses visiteurs, qu’ils soient célèbres ou inconnus, suivant en cela une tradition bien établie depuis le XVIIIe siècle.

Cet homme «jeune encore, bon, aimable, spirituel et avec toute cela savant et célèbre ingénieur des Mines», s’était en effet personnellement levé de table pour lui ouvrir la porte et l’avait aussitôt convié à déjeuner en compagnie de sa famille et de quelques hôtes séjournant au Château.

Au cours du repas, Fortuné du Boisgobey avait apprécié la bonté et l’amabilité de Mme Juncker, ainsi que la verve de sa sœur Caroline Goupil, qu’il avait jugée «délicieusement jolie mais un peu femme artiste de ton et d’habitude, quoique demoiselle».

Trois ans plus tard, cette dernière épousait le Sous-Directeur des Mines Claude Pernolet, l’un des convives présents, qui était à 25 ans «jeune, grand, assez beau», plein «d’esprit» mais assez «bourru»…

Il n’avait pas ôté son chapeau au passage de Louis-Philippe

Successeur d’Auguste Juncker à la direction des mines à Poullaouën en 1842, il était entré à Polytechnique 10 ans auparavant.

Mais la rubrique politique du journal « L’Ami de la religion », datée du 22 août 1833, nous apprend que «le jeune Pernollet, élève de l’Ecole Polytechnique, arrêté le 28 juillet pour n’avoir pas enlevé son chapeau au passage de Louis-Philippe», avait été «traduit après trois semaines de détention devant le Conseil de discipline de l’Ecole qui a prononcé son renvoi».

Le 22 novembre suivant, il intégrait l’Ecole des Mines, dont il sortit premier le 27 janvier 1838.

Après avoir guidé le visiteur à la demande d’Auguste Juncker dans les ateliers de transformation du minerai à Poullaouën, il le laissa se rendre seul sur le site de Locmaria-Huelgoat où le maître mineur Colobert, «un homme fort instruit et s’exprimant bien», fut chargé de le conduire dans les galeries souterraines.

Dans le dédale des galeries

Vers 8 heures du soir, muni d’une petite lampe et vêtu «d’une blouse, d’un pantalon de toile grise, d’un chapeau ciré de forme basse pour protéger la tête dans les voûtes peu élevées et d’un grand tablier de cuir qui se bouclait dans le dos», il suivit son guide à 100 mètres sous terre au fond du puits supérieur de la mine.

Là, surveillées jour et nuit par deux gardiens, se trouvaient les deux célèbres machines mises au point en 1831 par Auguste Juncker pour pomper les eaux d’infiltration qui menaçaient sans cesse de noyer les galeries creusées à plus de 57 mètres de profondeur sous le niveau de la nappe phréatique.

Après avoir admiré leur «monstrueuse impulsion» qui égalait «la force de 280 chevaux», Fortuné du Boisgobey refusa de descendre à 300 mètres sous terre dans le puits le plus profond.

Il regagna donc la surface en gravissant les nombreuses échelles de bois qui reliaient sur «5 ou 6 étages» les quelque 2 km de galeries qu’il avait déjà parcourus.

Recru de fatigue à l’issue de cette journée mémorable, le jeune homme, futur auteur de romans policiers, feuilletoniste au Figaro et vice-président de la Société des gens de Lettres, prit toutefois le temps de noter cette remarque en guise de conclusion dans son carnet de voyage: «Croirait-on qu’il vient presque tous les jours des visiteurs» dans ces mines, «que des dames y descendent et que Mme Juncker, entre autres, est allée jusqu’au fond et a remonté d’un seul coup 900 pieds (300 mètres) d’échelles?»

J.L.C.