Le 9 pluviôse an III (28 janvier 1795), Joseph Poirier, maire de Berné et laboureur au village de Porz-en-Tallec, revenait vers 4 heures de l’après-midi de la forge de Kerguenec en Guilligomarc’h où il avait fait «faire une cerpe et trois rateaux», lorsqu’il fut abordé «sur la grande route conduisant du Faouët à Plouay par dix à douze hommes armés» de fusils et de pioches.
Ceux-ci l’obligèrent à les accompagner jusqu’à l’auberge du Pontulaire où plusieurs centaines de Chouans s’étaient rassemblés sous les ordres de Louis Calan, de Pluméliau, surnommé Salomon, Jean-Joseph Salvar, l’ancien greffier de Berné et Louis Morgant, le neveu du recteur de cette même commune.
Enrôlés de force
La plupart étaient membres des bandes de Chouans qui par leurs exactions avaient fait régner la terreur dans les districts de Pontivy et du Faouët depuis le début du mois de novembre 1794.
Elles étaient composées de paysans hostiles aux réquisitions de leurs récoltes et de leur bétail par l’administration républicaine, qui les payait en assignats (une monnaie de papier dévaluée de 97% avant sa suppression le 19 février 1796).
On y comptait aussi des déserteurs de la levée de 300000 hommes décrétée par la Convention le 23 février 1793, ainsi que des villageois qui avaient tenté de préserver leur neutralité en cette période de guerre civile, mais que les Chouans avaient enrôlés de force, sous peine d’être fusillés.
Refusant l’amnistie que la Convention thermidorienne leur avait offerte le 2 décembre 1794, tout comme la politique de pacification menée dans le Morbihan par les représentants en mission Guezno et Guermeur, ils s’apprêtaient à marcher sur Le Faouët, après avoir le matin même envahi Guéméné et chassé de Plouay une centaine de soldats républicains contraints de se réfugier à Hennebont.
Accueillis par une canonnade
Prévenus vers 9 heures du soir par des sentinelles postées sur la route de Scaër et le chemin de St-Fiacre, les administrateurs du Faouët firent mettre en batterie les deux canons dont ils disposaient sur la Place de La Liberté, devant les halles.
Puis ils se retranchèrent dans ce bâtiment, protégés par 12 canonniers, 90 gardes nationaux, les 38 soldats de la garnison, 5 chasseurs à cheval et 3 gendarmes.
Le rapport qu’ils adressèrent le lendemain aux représentants en mission nous apprend que «trois colonnes» regroupant «plus de deux mille Chouans» armés de fusils, de haches, de faux, de fléaux et de bâtons, convergèrent vers le centre du bourg.
Parvenus sur la Place de La Liberté, ils furent accueillis par le feu nourri d’une canonnade, puis mis en déroute par une charge des chasseurs à cheval épaulés par quelques gardes nationaux.
Ils s’enfuirent alors en abandonnant sur le terrain 14 morts, 8 blessés, «plusieurs fusils, des chapeaux à cocarde blanche et quantité de sabots».
Fusillés pour l’exemple
Les républicains du Faouët appréhendèrent aussi une trentaine d’insurgés.
Dix-huit d’entre eux, incarcérés sur place, furent relâchés le 14 février, après avoir réussi à convaincre les membres du tribunal du district qu’ils avaient été «forcés de marcher avec les brigands et arrachés à leurs foyers».
D’autres, tel Joseph Poirier, restèrent en détention pendant quelques semaines «jusqu’à ce que de plus amples informations aient été prises sur leur compte».
Louis Calan, leur capitaine, fut quant à lui arrêté dès le 30 janvier au manoir de Kerdrého, en Plouay, par des soldats d’Hennebont qui recherchaient les fugitifs.
Emprisonné au Faouët, puis libéré le 13 février à Mané Ascorn, près de Landévant, lors de son transfert à Vannes, par des Chouans de Nostang et de Ste-Hélène, il fut très vite repris par des grenadiers qui escortaient le représentant du peuple Bruë, en tournée dans la région.
Ce dernier, pour «faire un exemple» et se venger des «onze coups de fusil» qui l’avaient manqué à cet endroit le 8 décembre précédent, le fit fusiller le jour même avec cinq autres Chouans.
Traqués par les autorités républicaines, ses lieutenants Jean-Joseph Salvar et Louis Morgant connurent le même sort.
Le premier, livré par un faux Chouan nommé Dubois, fut arrêté le 4 mai 1795 au village de Kerhoët en Berné, chez Joseph Minier, un sympathisant qui l’avait hébergé pour la nuit.
Transféré à la citadelle de Port-Louis, il fut quelques mois plus tard condamné à mort par une Cour militaire à Vannes, et passé par les armes le 8 janvier 1796.
Le second, âgé de 21 ans, capturé le 22 novembre à Berné et jugé par un conseil militaire très restreint, fut aussi exécuté le 18 avril 1796 au Faouët, après avoir révélé le nom de ses chefs Jean Jan, de Baud, Georges Cadoudal et Pierre Mercier, dit La Vendée, entre autres, ainsi que l’emplacement de plusieurs de leurs cachettes.
J.L.C.