(extrait du 3ème fascicule “Survol de l’histoire des Protestants en Bretagne Centrale : L’œuvre des Gallois en Centre-Bretagne, de la solidarité inter celtique au témoignage évangélique)


Quelques cartes postales éditées par la
Mission évangélique bretonne de Trémel,
et présentant les différents bâtiments :
hospice, écoles…

Ainsi que nous l’avons mentionné au chapitre premier, à la mort du pasteur John Jenkins en 1872, la Société missionnaire baptiste du Pays de Galles décida de scinder en deux l’œuvre de Morlaix. Alfred Llewelyn Jenkins, le fils de John, succéda à son père à Morlaix, et Guillaume Le Coat se chargea de l’œuvre de Trémel. 

Guillaume Le Coat était prêt à prendre la direction de la mission de Trémel. Petit-fils du fabuliste G. Ricou, que nous déjà évoqué, il était le fils de Marie Ricou épouse Le Coat, qui se convertit, en recevant notamment la visite du colporteur Guillou, venant de Morlaix. Elle témoigna de sa foi autour d’elle et plusieurs personnes se convertirent, ce qui encouragea John Jenkins à faire construire un temple en 1861 à Trémel, auquel il donna le nom de la paroisse de son enfance au Pays de Galles, « Hengoed ». 

Guillaume Le Coat suivit des études à l’Ecole normale protestante de Courbevoie, en région parisienne. Le 1er octobre 1868, à Trémel, il épousa  une jeune fille d’origine irlandaise, orpheline, Gertrude Shaw. Le mariage fut célébré par les pasteurs Jenkins et Bouhon dans la chapelle de Hengoed  à Trémel. 

A gauche: Marie Ricou, épouse Le Coat, fille de Guillaume Ricou le fabuliste
et mère du pasteur Le Coat.

A droite: Le pasteur Guillaume Le Coat (1845-1914).

Ci-dessus : Le pasteur Victor Bouhon (3e à l’arrière-plan à partir de la gauche), placé à Saint-Brieuc par le pasteur Jenkins,  fut le mentor du jeune Guillaume Le Coat après sa conversion. Il l’orienta vers l’Ecole normale protestante de Courbevoie. 

Victor Bouhon apparaît sur cette photographie de 1857, durant ses études à la Société des missions évangéliques de Paris, en compagnie de son professeur et de ses condisciples : de gauche à droite, au premier plan, O. Rau, J. Bonhoure, Eugène Casalis (le directeur), F. Coillard, et à l’arrière-plan, F. Ellenberger, Bauman, V. Bouhon, E. Casalis fils, et A. Mabille, qui pour la plupart devinrent missionnaires au Lesotho et au Zambèze.

En 1873, Guillaume Le Coat fut consacré pasteur, avec délégation du consistoire réformé de Bretagne, dont le siège était à Brest. L’autorisation d’utiliser le temple de Trémel fut finalement accordée par l’administration. S’appuyant sur des colporteurs rémunérés par diverses sociétés d’évangélisation, il organisa la diffusion de l’Evangile en de nombreux lieux de Bretagne.

En 1884, quand la Baptist Missionnary Society de Londres cessa de soutenir l’œuvre pour se consacrer à des champs de mission plus lointains (en Asie notamment), le pasteur anglican E.W. Bullinger, secrétaire de la Trinitarian Bible society, sollicita des amis de diverses dénominations, et créa le premier comité d’une nouvelle société appelée la Mission évangélique bretonne (MEB). 

Le revérend Bullinger (qui rédigea une histoire de la MEB) a raconté ce qui se passa alors, dans une notice historique sur la Mission évangélique bretonne parue en Angleterre en 1910, (rééditée en français à Lannion en 2012 par l’ARSSAT : Association pour la Recherche et la Sauvegarde des Sites Archéologiques du Trégor): «Ce fut une accablante nouvelle pour le pasteur Le Coat …Il m’écrivit aussitôt pour m’informer du coup qui le frappait, me demandant ce qui pouvait être fait…[…]. J’étais certain que cette œuvre était inspirée par le Seigneur qui nous soutiendrait et nous montrerait quoi faire…[…].C’est ce qui arriva. Ce qui promettait de faire de l’année 1884 un désastre, fut en fait ce qui apporta les plus grands résultats. Je me mis moi-même en rapport avec quelques amis, et nous formâmes le premier comité d’une nouvelle société que nous appelâmes «La Mission évangélique bretonne», sans référence à une confession ou obédience, dont le seul but sera de faire connaître la Parole écrite, de glorifier le Christ, la Parole vivante, avec l’aide du Saint-Esprit, en s’efforçant de garder l’unité de l’Esprit et de s’affranchir de toute organisation humaine… 

Laissant la direction au seul pasteur Le Coat, nous devions entreprendre tout ce qui nous était possible pour l’aider et le soutenir. Feu le Docteur Underhill (1) devint le premier président et montra un grand intérêt pour l’œuvre. Je pris la première charge de secrétaire. Le révérend W. L. Lang (2) occupa bien entendu, une place éminente lors des premières étapes…».

De gauche à droite : Les pasteurs Underhill, Bullinger et Lang, dirigeants du Comité de la Mission évangélique bretonne lors de sa création en 1884, quand elle prit le relais de la Société des missions baptistes dans le soutien de l’œuvre de Trémel.

(1) Edward Bean Underhill, pasteur baptiste, ancien missionnaire aux Indes, en Amérique, en Afrique, fut « le plus grand ami et soutien de l’évangélisation de la Bretagne bretonnante » d’après G. Le Coat. (Journal Le Trémélois,  juin 1901). A sa mort,  E. Bullinger  présida le comité de la M.E.B .

(2) William L. Lang, pasteur baptiste de Londres qui,  passant en Bretagne, avait rendu visite à G. Le Coat. Réalisant le grand besoin d’une nouvelle traduction de la Bible en breton, il avait été l’instrument de la collaboration du pasteur de Trémel avec la Trinitarian Bible Society qui l’engagea alors à entreprendre cette traduction.

La direction de l’œuvre fut donc laissée au pasteur G. Le Coat et la mission fut  soutenue par de généreux donateurs  d’Angleterre et des îles anglo-normandes, avec qui le contact resta très étroit : visites régulières des Bretons dans les îles, et des bienfaiteurs en Bretagne pour mesurer les progrès de l’oeuvre.

C’est ainsi qu’apparurent deux grands foyers d’évangélisation dans l’ouest breton : Morlaix dans le Finistère, et Trémel dans les Côtes-du-Nord, à partir desquels furent diffusés en  Centre-Bretagne évangiles et textes propres à répandre le message du salut, offert gratuitement aux hommes qui décident de mettre leur foi en Dieu et en l’œuvre accomplie par le Christ à la croix. 

Ainsi, grâce au soutien persistant et désintéressé de ces hommes, appuyés par les œuvres d’évangélisation de France, Suisse, Grande-Bretagne, le témoignage de l’Evangile put se répandre jusqu’au fond des campagnes du Centre-Bretagne. La Mission évangélique bretonne fut donc une œuvre indépendante des dénominations, marquée par une ouverture qui autorisait la collaboration avec des hommes et des œuvres très diversement situés dans les différentes branches du protestantisme. On retrouvait donc le directeur de la Mission évangélique bretonne, entre autres, au synode des églises libres d’Annemasse en 1890. Il avait par ailleurs souscrit à la confession de foi de cette union d’églises. 

Guillaume  Le Coat fut secondé par un beau-frère de son épouse, le colporteur François Marie Le Quéré (1842-1922), fils d’un menuisier de Plouaret. Gertrude Shaw avait aussi recueilli un de ses neveux, Georges Somerville (1868-1945), futur pasteur et continuateur avec F.M. Le Quéré de l’œuvre de G. Le Coat. Les époux Le Coat n’eurent pas d’enfants, mais les familles Le Quéré et Somerville eurent une postérité de nombreux pasteurs, évangélistes, colporteurs et institutrices évangéliques.  Aidé de colporteurs rémunérés par diverses sociétés d’évangélisation, Guillaume Le Coat organisa la diffusion de l’Evangile dans bien des bourgs de Bretagne. Ils allaient à pied, puis en voitures bibliques à partir de Trémel.

Guillaume Le Coat créa également de nombreuses œuvres à Trémel. Commençant par la création d’écoles, pour les garçons puis les filles, le pasteur Le Coat et son épouse étendirent les activités de l’oeuvre avec le soutien de leurs amis britanniques. Ainsi fut fondé un orphelinat, qui accueillit jusqu’à 80 enfants, dont la nourriture provenait en grande partie de la ferme que possédait la mission. La mission ouvrit aussi un hospice destiné aux vieillards indigents, un asile («l’Abri du pèlerin») pour accueillir des vagabonds et des ouvriers agricoles de passage dans la contrée, et enfin un dispensaire pour soigner les malades, en ces temps où la pauvreté était fréquente et les soins coûteux, aucun médecin n’étant par ailleurs installé dans la commune. Une usine à lin, dont l’objectif était de fournir des emplois aux membres de la mission, vint compléter cet ensemble important, dont les principaux bâtiments subsistent encore de nos jours au lieu-dit Uzel, près du bourg de Trémel.

L’avènement de la Troisième République libéralisa le témoignage évangélique protestant,  ainsi le pasteur Le Coat put-il développer un ensemble de salles annexes ou chapelles pour l’annonce de l’Evangile à Callac, Carhaix, Huelgoat, Conval en Poullaouën, Pont-Menou, Pluzunet, Bégard, Plougrescant, et jusqu’à Brest, Le Havre, Jersey et Plymouth. Nous évoquerons plusieurs de ces lieux de culte au chapitre 5 de ce fascicule.

G. Le Coat, en digne petit-fils de G. Ricou, publia énormément d’ouvrages en breton (cantiques, traités, almanachs) que les colporteurs liés à Trémel diffusaient sur les places, marchés, foires et lors des pardons. Il traduisit également en 1889 la Bible en breton (parler local de Tréguier) à partir des textes originaux et non plus de la Vulgate qu’avait utilisée J.F. Le Gonidec. Il eut même l’occasion d’en offrir un exemplaire à l’Elysée le 6 décembre 1889 au président  Sadi Carnot.  La révision de 1904 fut faite avec le concours de son neveu G. Somerville. Les publications en breton des protestants étaient annoncées voire commentées dans divers ouvrages comme La Revue celtique ou Les Annales de Bretagne. 

Ci-dessus : Quelques cartes postales éditées par la Mission évangélique bretonne de Trémel, et présentant les différents bâtiments : hospice, écoles, etc.

G. Le Coat traduisit également en breton le best-seller de John Bunyan, «Le voyage du pèlerin», et à partir de 1888 édita un journal mensuel, Le Trémélois, qui donnait des nouvelles de l’évangélisation en Bretagne et de la mission de Trémel. 

Breton et ardent républicain, il n’hésita pas à se lancer dans la politique, et donna bien du fil à retordre aux autorités de l’époque; il fut même candidat antigouvernemental lors d’élections municipales à Trémel. Après la séparation de l’Eglise et de l’État, il fit une démarche auprès d’Aristide Briand, Ministre des cultes, pour réclamer l’usage de l’église du village! 

Bretonnant, Guillaume Le Coat organisa le colportage et l’évangélisation des Bretons dans toute la Basse Bretagne, aux îles de la Manche et au Havre, où la communauté bretonne était importante. La mission bretonne du Havre, liée à l’origine à l’église baptiste, et où œuvrèrent Mademoiselle Bioley et le pasteur D. Scott,  donna plus tard naissance à l’église pentecôtiste française des ADD (Assemblées de Dieu).

En 1914, à sa mort, un millier de personnes se pressèrent aux obsèques de G. Le Coat, et toutes repartirent avec une Bible en breton. Les relations avec l’église catholique s’étaient apaisées au point qu’un article nécrologique de François Vallée présentant ses sincères condoléances parut dans l’hebdomadaire catholique bretonnant Kroas ar Vretoned (La croix des Bretons, n° 54 de mars 1914). Yves Le Berre, spécialiste de la littérature bretonne, écrivit au sujet du pasteur Le Coat, qu’il «fut sans doute l’un des auteurs bretons les plus lus de son époque».

Ci-dessous : Principales annexes de la Mission de Trémel ; de gauche à droite et à partir du haut  : Pont-Menou, Conval, Pont-Menou, Uzel, Brest, Huelgoat, Pluzunet, Plounérin (St-Quirio), Callac. 

 Les missions bretonnes du Havre et des îles de la Manche n’apparaissent pas ici.