Les Forges des Salles en Perret

Le duc de Rohan développa les mines et forges des Salles, en Perret, en lien avec les hauts-fourneaux de Sainte-Brigitte. Il fit venir des cadres protestants d’autres régions pour s’occuper de ce site industriel, peut-être appelé à fournir (selon l’hypothèse avancée par Denise Aupied dans son étude sur les mines et hauts-fourneaux du Centre-Bretagne) les munitions et les armes nécessaires aux troupes protestantes. Le duc en était maintenant le chef incontesté. Quoi qu’il en soit, c’est en 1621 qu’il décidait de le mettre en valeur.

A cette date, les protestants de France s’organisaient pour affronter le roi qui déjà avait investi et dévasté le Béarn pour y rétablir le culte catholique à l’exclusion de tout autre. Le théâtre des exploits du duc fut surtout le sud de la France. Mais il veilla à laisser dans ses terres bretonnes des hommes capables de suivre ses directives et de mener à bien ses projets. Le pasteur attaché au duc de Rohan était alors Ezéchiel Marmet. Les familles des premiers forgerons des Salles portaient des noms que l’on retrouve, selon Denise Aupied, dans les registres de l’église réformée d’Alençon qui, à cette époque, «couvrait le Maine métallurgique». La famille protestante de Farcy (qui bien plus tard, passée au catholicisme, donna un évêque au diocèse de Quimper) était venue spécialement de Normandie pour s’occuper de l’exploitation des Forges des Salles.

C’est au château des Forges des Salles, où fut construite une chapelle pour les besoins du culte calviniste, que se réunissait alors l’église protestante de Pontivy depuis le mariage catholique de Marguerite de Rohan en 1645. Dans un premier temps, ce fut le pasteur David de la Place, de la Moussaye, qui officia aux Salles (entre 1628 et 1640).

Les actes concernant ces huguenots (dont le premier maître des forges, Godefroi de Fineman, venu de Liège) figurent dans les registres de cette église. Plus tard, un pasteur y fut à demeure, il apparaît parfois dans les actes des synodes.

Malgré son mariage avec un gentilhomme catholique (mais lui aussi d’origine protestante), la duchesse de Rohan resta la fidèle protectrice de l’église de Pontivy jusqu’à sa mort.

On trouve les mentions du pasteur Ramet, mort accidentellement à Pontivy en 1647, et du pasteur Etienne Briant qui lui succéda immédiatement, et qui exerça jusqu’en 1667. Ce dernier était aussi appelé à traverser le Centre-Bretagne puisqu’il eut la charge de l’église de Morlaix (provisoirement selon toute vraisemblance, car Quintin et Plénée-Jugon étaient bien plus proches). En fait cette église de Morlaix, constituée essentiellement d’Anglais, depuis la signature de l’Édit de Nantes, ne pouvait plus se réunir qu’au château du Bois-de-la-Roche en Coadou, au sud de Guingamp. Cette seigneurie appartenait à Benjamin, fils d’Yves du Liscouet, qui durant les guerres de la Ligue, avait pris la ville de Carhaix en 1590, puis celle de Châteauneuf-du-Faou en 1593, avant de trouver la mort à la bataille de Crozon.

René du Liscouët, un frère de Benjamin, fut seigneur de Glomel vers 1635-1637. Pour prendre possession de ce domaine, il se fit accompagner, le 30 mars 1637 par le sénéchal de Carhaix, Ollivier de Lamprat (du nom d’une seigneurie située en Plounévézel). Mais cette seigneurie passa ensuite par retrait lignager à Ollivier du Chastel, marquis de Mezle (Maël-Carhaix, voir les travaux de la comtesse du Laz).

Le pasteur des forges des Salles pour se rendre à Morlaix et à Coadou, passait-il par Rostrenen ou par Carhaix, où quelques huguenots étaient signalés? Ces derniers allaient-ils au prêche du Bois-de-la-Roche avant qu’il ne soit officiellement interdit par un arrêté en 1664 ?

Carhaix

Carhaix, située au cœur de la Bretagne, était en relation avec le reste du royaume grâce notamment à ses célèbres foires annuelles. De Morlaix venaient les toiles, du Croisic le sel, de Normandie les acheteurs de bovins. Le blason de Carhaix représentait un bœuf, symbole de la principale activité commerciale de la ville. Gildas Buron qui a étudié le rayonnement des marchands de sel de la presqu’île de Guérande, note au sujet de l’un de leurs correspondants, marchand de drap à Pont-L’Abbé (Bretagne des marais salants, p.131) :

«Il est en contact avec des négociants de Falaise, de Rouen et de Tours qui lui adressent tout spécialement des étoffes pour la grande foire de Carhaix.

A égale distance de Vannes, Saint-Brieuc et Brest, Carhaix est au centre du commerce en Basse Bretagne.

A l’occasion de ses multiples foires, la ville attire des marchands de tout le royaume.

En particulier, Carhaix vend des draps et des cotonnades de l’Artois, du Languedoc et de Normandie, ainsi que des soieries de Lyon et de Tours».

Ces foires avaient lieu tous les premiers samedis du mois, mais aussi pendant huit à dix jours à la Mi-Carême et à la Saint Pierre.

Il est évident que le brassage entre différentes populations favorisait la diffusion des idées réformatrices.

Carhaix fut en tout cas l’une des deux villes choisies par le gouverneur de Bretagne, Louis de Bourbon-Montpensier, comme lieu d’exercice du culte pour les huguenots de la province, en exécution des accords de Saint-Germain, qui ont clos la seconde guerre de religion (1570). La deuxième ville était Bécherel (35), fief de Charlotte de Laval, épouse de Gaspard de Coligny. Ils s’étaient d’ailleurs mariés (en 1547) dans leur château de Montmuran-les-Iffs tout proche.

Au cœur du Poher, une grande seigneurie appartenait à un protestant célèbre. La baronnie de Rostrenen fut en effet jusqu’à sa mort, lors du massacre de la Saint-Barthélemy, propriété du baron du Pont (Pont-l’Abbé), Charles du Quelennec, dont le père Jean était mort à Quintin en 1552. Il n’y eut pas, semble-t-il, d’église protestante officielle dans la capitale du Poher, mais des protestants y vécurent, particulièrement des membres de la première «maison» de la région, issus de l’illustre famille de Quelen.

Cette famille, connue dès 1054, avait eu la lieutenance de Carhaix et d’immenses territoires en Centre-Bretagne, de Saint-Nicolas-du-Pélem jusqu’au Mont Saint-Michel de Brasparts. Le membre de cette famille qui devint protestant semble être un descendant d’Henri de Quelen Vieux-Chastel, seigneur de Berrien et de Keraznou en Brennilis, qui au milieu du 15ème siècle fonda les chapelles «des Cieux» à Huelgoat, et de Notre-Dame à Brennilis (dont les vitraux conservent les armoiries, entre autres des Berrien, des Juch et des Quelen Vieux-Chastel).

La paroisse de Berrien, très étendue, avait pour trêves Huelgoat, Locmaria-Berrien et Botmeur dans les Monts d’Arrée. Comment Clas de Berrien, (seigneur du lieu) avait-il été en contact avec les doctrines réformées au point de les adopter comme fondement de sa vie personnelle? La parenté (par l’ascendance commune dans la famille de Juch) avec les du Chastel et Gouyon de la Moussaye, protestants (à partir de 1570) peut avoir joué (mais les patronymes de Berrien et de Quelen, n’apparaissent pas dans les «Mémoires de Charles Gouyon de la Moussaye»). En tout cas, Clas de Berrien semble avoir vécu sa foi calviniste sans remous. Pour vaincre la Ligue, Henri IV avait accepté des articles secrets, rajoutés à l’Édit de Nantes, qui interdisaient les églises protestantes à Morlaix et dans l’évêché de Cornouaille (la plus grande partie du Finistère)… Les Berrien comme plus tard les Kerven (Quervain) allaient-ils au prêche du Bois-de-la-Roche en Coadou (au sud de Guingamp) ? A l’annonce de l’assassinat d’Henri IV (en 1610), Clas (ou Clet) de Berrien prit peur. Les persécutions allaient-elles reprendre contre les protestants? Les guerres de la Ligue avaient fait de grands ravages en Bretagne.

C’est ainsi que Clas de Berrien et sa famille prirent le chemin de l’exil en 1615 et se rendirent en Hollande où ils sont cités dans les registres protestants. S’agit-il vraiment de Clas de Quelen Vieux-Chastel, seigneur de Berrien et de Keraznou en Brennilis? Les vitraux sont-ils les seuls éléments rattachant les Berrien huguenots au Centre-Bretagne? Vers 1669, son petit-fils décida d’aller tenter sa chance en Nouvelle-Angleterre (Amérique), il y fit fortune et donna même son nom à une ville située à l’extrême sud du lac Michigan. Les armoiries des Berrien se retrouvent dans un vitrail de la chapelle du Saint-Esprit, 60ème avenue (East 60th St.) de New York, que l’on doit aux descendants du réfugié centre-breton. Ce sont les mêmes que celles conservées dans la chapelle de Brennilis.

A l’époque des missions du père Le Noblez, ce sont les cousins Louis et Jean de Juzd (Juzel? Juhel?), seigneurs de la Villeneuve et de Kerven qui représentaient la Réforme dans la capitale du Poher. Avaient-ils des liens avec la famille de Rison, originaire de Nérac, devenue catholique et propriétaire du lac de Huelgoat, créé artificiellement pour les besoins d’une exploitation minière toute proche (et qui sont au nombre des ancêtres de la famille Saisy de Kérampuil, bien connus à Carhaix) ?

Devant la montée de l’intolérance et des persécutions qui précédèrent la Révocation de l’Édit de Nantes (1685), la pensée de prendre le chemin de l’exil s’imposa aussi aux seigneurs de Kerven et de la Villeuneuve. Un voyage préparatoire à Genève (remarqué par le représentant du roi de France sur les rives du lac Léman, comme en témoignent ses notes diplomatiques), les persuada que l’entreprise était réalisable. Ils réussirent à monnayer une partie de leurs biens, et c’est avec un certain avoir qu’à partir de Vannes (région d’origine des Juzel), ils gagnèrent la Hollande par voie maritime. Le souvenir de cet événement paraît avoir été inscrit dans le blason de la famille, sous la forme d’un cygne qui vogue sur une mer d’azur.

Pour bénéficier de la bourgeoisie octroyée par leurs Excellences de Berne, le sieur de Kerven demanda au Parlement de Rennes des lettres de reconnaissance de noblesse qui lui furent accordées sans problème, étant donné l’ancienneté de la famille Juzel («gentilshommes d’ancienne extraction»). Ce patronyme devenu Juzd dans ces documents, fut ensuite abandonné au profit d’un nom de terre, lui aussi transformé. Kerven: «maison blanche» en breton, devint Quervain en Suisse.

Dans le canton de Berne, la famille «de Quervain» est aujourd’hui encore très honorablement connue, ayant donné des pasteurs et des médecins renommés (voir la notice consacrée à cette famille dans le Dictionnaire Biographique et Historique de la Suisse).

Plusieurs années auparavant, un autre huguenot fugitif de la région de Carhaix avait été accueilli à Genève. Voici ce qui est écrit à son sujet dans le Bulletin de la SHPF (1915 p. 546) : «1677. 9 août, Loys Le Masson, de Pau en Bretagne cy devant religieux, à présent apothicaire». Etait-il originaire de Paule (Côtes-d’Armor), en fonction dans cette petite bourgade du Centre-Bretagne située à une dizaine de kilomètres au sud-est de Carhaix? Les recherches de la comtesse du Laz sur l’histoire de la commune de Paule présentent le cadre de cette seigneurie, et mentionnent quelques ecclésiastiques de cette époque, mais Loys Le Masson n’apparaît pas dans ces textes. Nous n’avons pas non plus de détails, pour l’instant, sur sa destinée au Refuge (car pour beaucoup, Genève n’était qu’une étape vers d’autres cantons, ou vers l’Allemagne). Outre ces fugitifs, les registres d’état-civil portant mention après la Révocation de l’Édit de Nantes, des abjurations, permettent aussi de mettre en lumière un protestantisme qui s’est diffusé sans forcément être lié à la présence d’une église constituée, ce qui n’était d’ailleurs pas possible officiellement dans le territoire du diocèse de Cornouaille.