«Monsieur l’Inspecteur d’Académie, j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir me procurer, si cela est possible, un poste d’instituteur-adjoint dans l’enseignement public… dans n’importe quel département».

Henri Chopin, qui venait d’avoir 18 ans, n’imaginait pas, lorsqu’il adressait cette demande en 1884 à l’Inspecteur d’Académie de La Rochelle, que l’essentiel de sa carrière d’enseignant se déroulerait au Guilly, un village isolé de Bretagne centrale, situé à l’orée du bois du Fréau, sur la commune de Poullaouën.

Ce jeune protestant poitevin fut d’abord nommé à Esquibien en 1885, puis à Roscoff en 1886, et enfin à Morlaix en 1888. Il se joignit, dans cette ville, aux membres de l’église protestante baptiste fondée une cinquantaine d’années auparavant par le pasteur gallois John Jenkins.

Ce dernier, qui distribuait dans le Léon, le Trégor et le Poher la version bretonne du Nouveau Testament publié par J. F. Le Gonidec en 1827, souhaitait faire disparaître l’analphabétisme dont souffraient nombre de nos ancêtres.

Il composa donc, puis fit éditer dès 1835, un opuscule en breton intitulé «An A.B.K.» destiné à leur faciliter l’apprentissage de la lecture, qui fut répandu dans notre région par des colporteurs devenus protestants, tel Jules Collobert, futur pasteur et maire de Lannéanou.

Chassés de Trévénec, en Carnoët, mais accueillis au Guilly

D’après une tradition orale, ces colporteurs furent chassés à coups de pierres par les habitants du hameau de Trévénec, en Carnoët, mais bien reçus au village voisin du Guilly, notamment par les familles Cozic, Failler, Ropars et Urvoas.

Intéressés par la lecture et l’étude de la Bible, ces modestes cultivateurs et sabotiers prirent alors conscience de leur manque d’instruction et surtout de celui de leurs enfants, «qui restaient en-dehors de l’influence de l’école et ignoraient le français» parce qu’«ils ne pouvaient que très difficilement aller en classe à Poullaouën, les voies de communication aboutissant à leur village, distant de 6 km du bourg, étant impraticables pendant un tiers de l’année.»

Avec l’assentiment «des anciens» du village, ils demandèrent donc, en 1894, au pasteur morlaisien Alfred Jenkins (qui avait succédé à son père en 1872) et à Henri Chopin d’y ouvrir une école protestante.

Mais l’hostilité de certains «propriétaires catholiques de l’endroit, qui refusaient de leur vendre des pierres de construction, rares dans la région», et celle «du conseil municipal de Poullaouën qui répondit par un refus unanime à leur demande d’en extraire d’un terrain communal», les contraignit à solliciter l’aide de mineurs du Pays de Galles pour financer l’achat et le transport des bâtiments préfabriqués de la future école, qui arrivèrent au Guilly en pièces détachées à l’automne 1897.

Ultramodernes pour l’époque, ces deux édifices en bois recouverts de tôle ondulée Humphrey, abritaient deux salles de classe, deux préaux, deux logements de six et trois pièces, un bûcher, et, comble de confort, un «water-closet».

Ils furent rapidement montés dans le champ de 20 ares nommé «Parc-toul-ar-hars» que Pierre Ropars et sa femme Louise Urvoas avaient vendu à Alfred Jenkins pour «500 F payés comptant».

«12 ans d’un écrasant labeur…»

Henri Chopin avait démissionné en septembre 1897 de ses fonctions d’instituteur public à Morlaix, pour prendre la direction de cette école privée, s’en remettant, pour son traitement, à la générosité des donateurs gallois de la «Baptist Missionary Society».

Avec son épouse Marthe Bernardon, une institutrice originaire de Suisse, il y accueillit, jusqu’en 1910, plusieurs centaines d’enfants du Guilly et des villages alentour, qu’il présenta à partir de 1900, pour la plupart avec succès, au certificat d’études primaires.

Il permit aussi aux meilleurs d’entre eux (dont plusieurs devinrent enseignants), d’obtenir le brevet élémentaire en leur dispensant bénévolement des leçons supplémentaires, et donna gratuitement des cours du soir aux adultes désireux de s’instruire (auxquels il procurait même des lunettes en cas de besoin).

Convoqué chaque année comme examinateur des épreuves du Brevet élémentaire, il était très apprécié par J. Dosimont, l’inspecteur des écoles primaires de l’arrondissement de Châteaulin «qui l’honorait de son amitié», ainsi que par les autorités académiques qui récompensèrent son zèle en lui décernant les médailles de bronze, d’argent et de vermeil du Ministère de l’Instruction. Et lorsqu’il quitta le Guilly «après 12 ans d’un écrasant labeur», il put se réjouir d’avoir pleinement atteint deux des buts essentiels qu’il s’était fixés : «Créer au cœur des enfants qui lui avaient été confiés un sentiment profond de la dignité personnelle et du devoir en même temps qu’un inaltérable attachement à la France républicaine».

Une tâche que devaient poursuivre des enseignants protestants pendant plusieurs dizaines d’années.

Les «anciens» du Guilly se souviennent encore avec reconnaissance de ces hommes et femmes de foi qui, dans leur volonté de laisser chacun libre de ses choix, leur annoncèrent aussi l’Evangile, avec un grand respect et beaucoup de délicatesse.